Tribune de Christian Boghos – Directeur Général du Groupe Les Temps Nouveaux

J’aime cette expression – le jour du retour – comme après un long voyage dans un pays fermé. Un retour qui nous a forcément un peu changé et que nous avons vécu avec plus ou moins d’intensité, d’impatience, de remises en question. C’est ainsi la question de la nouvelle hiérarchie de nos valeurs, de nos envies qui va se poser avant tout redémarrage. Ce ne sera pas une révolution certes, mais peut être un syndrome « post-quelque-chose ». Reprendre sera retrouver une position qui aura à priori le même goût qu’avant, mais au fond, pas tout à fait. C’est cette nuance qu’il nous faut capter en la bombardant de questions.

Quelle traces, empreintes, effractions, évolutions a laissé le temps de ce confinement ? Quels changements perceptibles ou pas, avec les autres, ses collègues, ses managers, son entreprise, après deux mois de visio, téléphone, email, sms comme seuls liens ? Quelles valeurs émergent après cette crise et sa gestion ? Quels comportements inouïs et décevants a-t’on vus, vécus, ressentis ? Ces histoires méritent d’êtes dites, entendues, pour que la suite ne soit pas entachée de non-dit. La force de ce mouvement collectif a-t’elle été de circonstance ? entrainée par une émotion elle aussi collective ? ou sera-t’elle considérée comme un fonctionnement, une vision de la suite, nécessaire, créatrice de belles valeurs et dotée d’une efficacité que tous, nous allons rechercher avec impatience ? Et dans ce cas, sans occulter les impacts et les conséquences sur les styles et les évaluations du management qu’elle provoquera.

Le Jour du Retour devra commencer par ce « grand débrief » : l’absence appelle toujours à être racontée pour qu’elle puisse bien se ranger. Non comme une thérapie de groupe informelle, moins encore une méga-séance de paroles distribuées, mais comme un ensemble structuré, rassurant, enrichissant pour tous, qui fera levier pour le rebond, et apprendra pour la nouvelle vie commune. Et sans doute, la prochaine crise. Une grande remontée de vies et d’envies pour bâtir le nouvel édifice.

Puis viendront les mots. Ceux d’hier réapparaitront, il ne faudra pas les laisser seuls. Ils n’auront plus la même valeur. De nouveaux mots devront venir les compléter, les amender, issus de ce « grand débrief » et complétés d’une vision pour demain qui associera la marche de l’entreprise à cette nouvelle incertitude planante et définitive. Ainsi la motivation et l’engagement muteront, et chaque entreprise aura sa propre mutation. Pourtant, et plus intensément qu’hier, c’est bien cette motivation et cet engagement qui feront repartir l’ensemble. A condition toutefois de les faire résonner avec les bonnes valeurs et la bonne mission. Les motivations nouvelles, nées de cette vie en recul, auront besoin d’être mises au jour, accueillies et prises en compte comme de nouveaux paramètres de la réussite et de la performance de l’ensemble. Il faudra aller les chercher, les interroger parce qu’on ne pourra plus se contenter de penser comme si rien ne s’était passé. Tendre le micro, donner la parole, recueillir, accueillir ces nouvelles motivations, massivement, au niveau de toute l’entreprise, comme une nouvelle énergie, un départ aligné, puissant, stimulant pour tous, faisant un sort aux vieilles certitudes, aux a-priori managériaux, aux discours descendants, glissants, à l’illusion corporate d’un corps uni et inébranlable qui serait en absent de toute réalité sociologique, à la toute aussi vieille puissance des barrettes sur les épaules comme seule conviction et à l’égoïsme entretenu des « talents » dont la carrière est indexée sur l’égoïsme des résultats individuels. En un mot, la prise en compte des motivations, bien plus que le culte du reporting, sera une grande avancée qu’aura offert cette crise.

Il en ira, forcément, de même pour l’engagement dont les raisons auront évolué avec la façon dont cette crise aura été gérée et accompagnée par l’entreprise. C’est une nouvelle sociologie de l’organisation qui va se dessiner, avec ses nouveaux groupes sociaux, ses nouvelles identifications que le confinement aura suscitées. Des groupes sociaux, enfin clarifiés, qui dépasseront les traditionnelles classifications métier, et qui donneront une nouvelle lecture du corps social pour lui donner une énergie centripète. L’entreprise « d’après » sera aussi la prise en considération de cette nouvelle « typologie » des engagements, qui paraissait anecdotique devant le totem des « parcours d’intégration », et qui pourtant sera la clé d’une nouvelle dynamique.

Il sera nécessaire, de façon collective et individuelle, de faire aussi cette mise à jour, avec méthode et transparence, évitant l’artifice et le superficiel de la traditionnelle déclaration d’intention. C’est à des actes d’adaptation et de justesse, que le jour du retour nous obligera. Je ne sais pas si c’est une nouvelle ère qui s’annonce, en tous cas ce sera un rendez-vous entre le corps social et le management de l’entreprise pour bâtir sinon un contrat social, du moins un nouveau contrat de fonctionnement et de confiance.

Nous aurons à l’évidence besoin de leadership, de leaders, et non de management, de managers. Nous aurons besoin de nous projeter, d’être guidé vers un horizon qui aura appris de cette nouvelle réalité, et non de manager ce nouveau quotidien pour qu’il ressemble peu ou prou à celui d’hier. D’autant que les prévisionnistes ne voient pas de reprise en V avec effet retour sur le niveau d’il y a 3 mois, mais une lente remontée, échelonnée sur plusieurs trimestres. Un nouvel environnement qui rendra nécessaire ce nouveau regard sur la motivation et l’engagement. Et qui modifiera tant de critères de performance qu’il sera l’heure de les redéfinir. C‘est du moins ce qu’il nous faut souhaiter. Apprendre après la peur, tenir parole, considérer que le temps court est aveugle seraient les plus belles leçons. La vie va reprendre masquée et la proximité sera la nouvelle peur.